Au parc Nakajima
[Encounter in Nakajima Park]
Dans le parc Nakajima par un beau jour de matsuri, un homme va et vient dans la rivière
Avec un chien blanc aux pattes sales. Il a relevé son pantalon, mais gardé ses chaussures aux pieds.
Avec les gestes concentrés d’un enfant
Il déplace Des pierres dans la rivière.
Avec grand soin il les trie ! En alignant certaines dans l’eau. Rejetant les autres au rebut. Il bâtit un long mur dans la rivière Kamokamo.
Sur son flanc, tel un trésor, il garde une besace. Dans des habits sans couleur ni forme il flotte.
Sa longue barbe grise est soignée, bien peignée.
Il porte un grand bâton, type pélerin ou berger. Son chien le regarde avec beaucoup d’affection.
Le monde autour d’eux suit sa course
Et l’homme suit la rivière
Imperturbable.
Midi. De plus en plus de gens s’asseoient au bord des berges pour manger des bentos.
La rumeur du matsuri dans la ville, le bourdonnement de la foule, les cris des marchands sont partout dans l’air.
Les enfants qui jouaient dans la rivière sont sortis de l’eau.
Peut-être sont-ils partis manger ou peut-être que leurs parents les ont discrètement rappelés près eux. Ou peut-être qu’ils ont pris peur
A côtoyer dans l’eau l’étrange personnage.
D’amont en aval, puis d’aval en amont, sur une cinquantaine de mètres, l’homme accomplit sa tâche. Pierre après pierre. Consciencieusement. De temps en temps, il cueille un rameau d’acacia, en fait un bateau qu’il dépose sur le fil de l’eau. Il jette aussi des pierres sur les corbeaux. Il vise mal.
Il n’a pas un regard pour les gens, mais son chien et lui vont régulièrement tenir compagnie à un chien roux efflanqué attaché à un buisson sur l’autre rive. Les chiens ont faim. L’homme partage avec eux la nourriture qu’il sort de sa besace. Ses gestes sont doux. Ses animaux mangent plus que lui.
Je me lève
Pour aller à l’autre bout du parc
Acheter des patates douces
Longtemps après je reviens
L’homme fouille toujours la rivière, flanqué de son chien blanc qui l’adore. et du regard de son chien roux. Ses chaussures ne sècheront plus jamais, c’est sûr. Combien de pierres dans cette rivière ?
Pause ! Il allume une cigarette, toujours debout dans le fil de l’eau,
Recueille ses cendres dans un cendrier de poche.
On le regarde. Les familles, les travailleurs, les retraités, les duos d’amies, les écoliers. Regards discrets, regards furtifs
Vont et viennent. Les femmes
Secouent un peu la tête.
Quelqu'un fait venir un policier
Le policier regarde un peu la scène
Puis s'en va.
Des adolescents en uniforme chahutent sur un îlot non loin de là. Ils regardent le vieil homme et se chamaillent. Semblent hésiter entre l’aider à construire son barrage ou le cribler de cailloux.
Il est à côté
Il est dans un monde autre
Il est ailleurs
Il suit ses propres lois
C’est peut-être un messager
Il sait peut-être un grand secret.
C’est quoi, un fou ?
Est-ce celui qui déplace des pierres dans la rivière
Dans ses chaussures détrempées ?
Comment est le monde dans ses yeux à lui ?
Il me prend l’envie d’aller bouger les pierres dans la rivière avec lui pour savoir.
Si je n’étais pas au Japon, si le regard d’autrui m’importait moins, si l’eau était moins froide, si j’acceptais de ruiner mes bottes, alors je descendrais dans l'eau, j’irais lui tendre une pierre, je saurais ce que ça fait de bouger les pierres de la rivière Kamokamo au parc Nakajima un jour de matsuri.
Voilà qu'un tout jeune homme enlève ses chaussures
Et retrousse son pantalon !
Soudain, il court de pierre en pierre jusqu’au vieil homme et lui touche l’épaule.
Les deux hommes s’étreignent. Pendant cinq secondes. Le jeune sort de l’eau aussi vite qu’il était entré.
Que ramène-t-il avec lui ? D'où est venue son impulsion?
Je plonge mes bras dans la rivière.
L’eau est glacée.
Le monde autour de nous suit sa course
Et l’homme lui suit la rivière
Imperturbable...